Piccolo Saxo & Cie
interview : 2012 rencontre avec André Popp
Par Michael Ponchon & Gérard Dastugue | Publié le 22/08/2012
Compositeur prolifique pour la télévision, le cinéma et le film d’animation, André Popp oeuvre depuis plus de quarante ans pour des sujets aussi divers que novateurs. Ce compositeur, qui a écrit aussi bien pour Bourvil que Pétula Clark, les Frères Jacques, Nana Mouskouri ou Juliette Gréco est un artiste et musicien averti. De sa rencontre en 1944 avec Jean Broussolle, futur Compagnon de la Chanson, à l’adaptation pour le grand écran du personnage de Tintin en 1960, Popp est un touche-à-tout prodigieux qui cherche souvent à surprendre ou à distraire par le biais de sa seule passion : la musique. Créateur de Piccolo, Saxo et Cie en 1956, ce mélodiste qui, avec une seule chanson (L’Amour est Bleu), a obtenu presque plus de succès que les Beatles, a composé de nombreuses partitions pour le court-métrage, la télévision, le cinéma, des oeuvres éducatives musicales et a accompagné de nombreux artistes comme Régine, Claude François et France Gall.
Le compositeur était au Festival Musique & Cinéma d’Auxerre en 2006 pour présenter le film Piccolo, Saxo et Cie, quarante ans après sa création. Oeuvre totalement ludique, légère et savante, elle a enchanté les enfants présents à cette avant-première. Grâce à des personnages musicaux incarnant chacun un instrument de l’orchestre classique, le compositeur a suscité de nombreuses vocations musicales à travers les âges et a révélé le pouvoir de la musique (orchestrale) sur les enfants. Rencontre avec un papa Popp qui vous fera fredonner.
Pouvez-vous nous parler de la genèse de Piccolo, Saxo et Cie ?
"C’est une commande qui m’a été proposée en 1956 par Jacques Canetti, alors directeur des disques Philips : il souhaitait que je réalise quelque chose de ludique pour les enfants. On a alors trouvé l’idée d’une histoire qui leur enseigne la musique et qui leur permette de distinguer les différents sons des instruments. J’ai alors proposé le sujet à mon ami Jean Broussolle, mon collaborateur de l’époque, qui avait l’avantage d’être musicien et qui jouait de plusieurs instruments. On a cherché une idée de mise en scène et on l’a trouvée dans la table des matières d’un traité d’orchestration dans laquelle les instruments de musique sont classés par famille. Ces familles ont déclenché le fil conducteur de l’histoire : j’ai proposé une trame autour de laquelle il seraitamusant de créer un royaume de la musique dans lequel les familles d’instruments ne se connaissent pas et partent à la recherche d’autres familles d’instruments. On a commencé par créer la famille des cordes qui découvre des instruments différents d’eux et font connaissance. Ensuite, on s’est attelé aux saxophones, qui ne font pas partie de la formation d’un orchestre classique. On a essayé à partir de là d’innover, de créer quelque chose d’insolite. D’ailleurs, à ce sujet, il y a une anecdote assez amusante : j’ai reçu, il y a quelques semaines, un traité d’orchestration d’un monsieur qui m’a avoué avoir appris le saxophone grâce à Piccolo, Saxo et Cie, et il me disait que, pendant très longtemps, il avait pensé que le quatuor des saxophones faisait partie intégrante de l’orchestre classique".
Pensez-vous avoir suscité des vocations musicales suite au succès du premier disque, en particulier auprès des enfants ?
Après la sortie du disque, il y a eu un bouche-à-oreille formidable et de fait, le disque s’est très bien vendu. Car la force du procédé a été que, en 1956, les parents poussaient souvent les enfants à jouer d’un instrument contre leur gré. Or, avec Piccolo, Saxo et Cie, ce sont les enfants eux-mêmes qui demandaient à pratiquer. Ce phénomène s’est ainsi répercuté sur trois générations car les enfants qui ont appris à jouer d’un instrument l’ont transmis à leurs propres enfants et ainsi de suite. C’est un peu la pédagogie à travers le conte…
Pourrait-on dire qu’il existe un parallèle entre le brassage des instruments et un brassage de l’être humain ?
Le film démontre très bien cela justement. C’est un reflet du monde moderne. Nous vivons dans une époque où il est important de rappeler aux parents et aux enfants qu’il est primordial d’aller vers l’autre, de le découvrir. Beaucoup de familles sont désunies aujourd’hui, les enfants en souffrent et nous avons tenté de faire le parallèle entre les instruments et les familles d’aujourd’hui, à travers un dessin animé musical dans lequel tout le monde s’accuse mutuellement. C’est un film sur l’amitié et la tolérance.
Pourquoi un retour à Piccolo, Saxo et Cie aujourd’hui ?
Il n’ y avait jamais eu de film et cela a été une aventure qui a duré près de vingt ans jusqu’à ce que je rencontre une productrice, Carole Scota, avec de très bonnes idées de conception graphiques, artistiques et musicales… Il y a eu au total cinq albums de Piccolo. En 1956 (Passeport pour Piccolo, Saxo et Cie), en 1958 (Piccolo, Saxo et le Cirque Jolibois) et par la suite, à la demande de ceux qui avaient racheté la maison de disques Philips, j’ai réalisé de nouvelles aventures discographiques en 1972 (Piccolo et Saxo à Music City) et en 1976 (La Symphonie Écologique). J’ai effectué le tour de toutes les modes, des tendances musicales et des instruments au fil du temps. Le premier Piccolo, Saxo et Cie était basé sur l’orchestre classique. Dans le second, l’orchestre classique est engagé dans un cirque et va apprendre la musique aux animaux. Et dans le troisième, l’orchestre classique part en tournée à travers huit pays et rencontre les instruments caractéristiques à chaque pays. Il découvre également tous les instruments liés à cet univers : la scie musicale, le balafon… Entre-temps, sont apparus tous les instruments électriques. Les guitares ont été électrifiées et ça m’a ouvert un champ d’expression assez large : les ondes Martenot, le synthétiseur…
La musique du film est principalement orchestrale et symphonique. Est-il important pour vous de faire redécouvrir cette musique à une génération évoluant au gré des musiques synthétiques ?
C’est primordial pour moi. Un synthétiseur ne remplacera jamais un orchestre. Cependant, j’y ai eu recours pour la chanson du Docteur Marteau et j’ai travaillé pour cela avec Simon Cloquet, qui est un collaborateur merveilleux et un technicien et musicien fabuleux. Il a par ailleurs travaillé sur le film avec des musiciens que je ne connaissais pas comme Christophe Deschamps à la batterie, Laurent Vernerey à la basse ou Marc Chantereau aux percussions.
Outre Piccolo qui représente votre œuvre majeure, vous travaillez également sur des pièces aussi ludiques que Chasseurs Sachez Danser. Quelle est votre démarche pour ce genre de musique ?
C’est amusant que vous me parliez de Chasseurs Sachez Danser car tout le monde y fait référence aujourd’hui (rires). J’ai toujours aimé l’humour en musique : c’est une démarche très peu pratiquée et j’aime me divertir en composant. Je n’ai pas un physique particulièrement marrant alors j’essaie de faire rire les gens à travers ma musique ! (rires).
Autre film important dans votre carrière, Tintin et le Mystère de la Toison d’Or est la première incarnation humaine consacrée au personnage créé par Hergé. Comment avez-vous travaillé à la mise en musique de ce personnage ?
Après le succès de Piccolo, Saxo et Cie, j’ai été appelé pour illustrer toutes les aventures radiophoniques de Tintin. Il y a eu beaucoup d’épisodes et ça m’a permis de me faire la main en quelque sorte sur un personnage et ses pérégrinations radio. Dans la suite logique des choses, quand Tintin et le Mystère de la Toison d’Or a été monté, on m’a appelé pour en composer la partition. L’approche était différente de la radio puisque je ne composais plus pour un feuilleton mais pour un long-métrage attendu. Les personnages vivaient, s’animaient, et pour la première fois, prenaient vie sous mes yeux. Et avec des acteurs extraordinaires comme Georges Wilson en Capitaine Haddock, Charles Vanel… J’ai donc tenté de créer une identité musicale propre à Tintin et je dois dire que c’est un excellent souvenir que d’avoir participé à cette aventure qui aujourd’hui encore, comme Piccolo, Saxo et Cie, ravit les jeunes générations. Puis, j’ai ensuite travaillé pour la première série télévisée des Babar, et me suis donc retrouvé à composer uniquement pour les enfants… Enfin presque (rires).
En dehors du cinéma, vous avez travaillé avec des artistes confirmés comme Jacques Brel ou alors débutants comme Céline Dion. Pouvez-nous nous parler de votre travail en dehors de l’image ?
J’ai peut-être plus œuvré dans la chanson que pour le cinéma ou le film d’animation. J’ai eu la chance de travailler avec des gens comme Bourvil, Michel Legrand, Henri Salvador, Juliette Gréco, Claude François, Marie Laforêt… et de jeunes talents qui depuis ont fait leurs preuves : Sheila, France Gall, Françoise Hardy, Céline Dion… Sans parler de mes deux plus gros succès : Les Lavandières du Portugal en 1954, chantée par Jacqueline François, et L’Amour est Bleu en 1967, interprétée par l’orchestre de Paul Mauriat, qui s’est vendue à plus de 40 millions d’exemplaires. Cette chanson a été un succès dans tous les pays du monde sauf… en France. On est en 1967, l’heure des yé-yés, de Salut les Copains et de Lucien Maurice, qui était directeur des programmes sur Europe. Or, il n’aimait pas cette chanson et a toujours refusé de la diffuser à l’antenne. De même, Salut les Copains, qui était une émission basée sur le Billboard (classement des ventes de disques internationales - NDLR), ne diffusait que des chansons interprétées dans leur langue d’origine, venant principalement des Etats-Unis. Mais on s’est retrouvé numéro un en Amérique avec cinq versions différentes de la chanson dont une jouée par Paul Mauriat et son orchestre. On peut réellement parler de censure sélective. Mais encore aujourd’hui, cette chanson, rebaptisée Love Is Blue, est toujours numéro un aux Etats-Unis : tous les ans, l’orchestre de Mauriat - sans Mauriat , qui a mon âge et qui a décroché - va jouer là-bas, et dans l’heure qui suit l’annonce de sa venue, toutes les places sont vendues.
Quel regard portez-vous sur les musiques de film d’animation d’aujourd’hui ?
Je n’aime pas les musiques composées actuellement pour les films d’animation. Ils ne sont d’une part, plus du tout adressées aux enfants car grossiers et violents : je pense à Shrek, aux films de Miramax, Pixar et autres Dreamworks. Les partitions composées pour ces films précis n’ont pas d’âme : sur une heure vingt de film, vous avez une heure dix-sept de musique qui n’exprime rien, il n’y a pas de thème. Les compositeurs ont recours à de grands orchestres qui jouent en permanence, ce qui a pour but de créer un fond musical sans chaleur, sans vie. De mon temps, il existait une forme de gaieté, de légèreté, on composait une chanson, on tentait de créer une identité musicale propre à chaque dessin animé. La musique était également tournée vers le public, créant une parfaite interaction entre les enfants et le dessin animé. On a tendance de nos jours à prendre les enfants très tôt pour des adultes. Je suis en outre très content de constater que Piccolo, Saxo et Cie fonctionne d’un point de vue émotionnel et musical auprès des enfants. Cinquante ans après sa création, j’espère qu’il sera le symbole d’un retour à la légèreté et à l’insouciance pour les nouvelles générations.
Entretien réalisé en octobre 2006 à Auxerre par Gérard Dastugue et Michael Ponchon - Illustrations : DR